Des personnes âgées chrétiennes nécessiteuses résidant dans la banlieue de Beyrouth, dans le secteur de Aïn el-Remmaneh, bénéficient d’un projet de décoration de Noël
BEYROUTH, DOREEN ABI RAAD – Contemplant les décorations multicolores qui scintillent sur le sapin de Noël qui décore son obscure salle de séjour désordonnée, Gabriel, 89 ans, sourit, les yeux pétillants.

« J’aime voir de jeunes gens travailler ensemble », dit-il aux volontaires chrétiens et musulmans venus décorer un arbre de Noël dans son appartement et y semer de la joie.
Gabriel est l’une des 30 personnes âgées nécessiteuses, résidant à Aïn el-Remmaneh, dans la banlieue de Beyrouth, qui ont bénéficié d’un projet de décoration de Noël lancé conjointement par les Jeunes de l’Ordre de Malte, une organisation catholique, et Who is Hussain ?, une association chiite.

Les deux groupes de jeunes avaient déjà collaboré auparavant pour des projets de service en faveur des bénéficiaires de leurs organisations respectives, notamment en juin, pour organiser, durant le mois saint du ramadan, un iftar aux personnes âgées, dans un des centres de l’Ordre de Malte Liban, qui reçoit aussi des seniors chrétiens démunis.
L’Ordre de Malte Liban, créé il y a 40 ans, fait partie de l’Ordre Souverain Hospitalier fondé à Jérusalem il y a plus de 9 siècles. Il gère un réseau de 30 œuvres à travers le Liban, dont des centres médico-sociaux, des unités médicales mobiles et des centres de jour pour les personnes du 3e âge, de même qu’il accueille, lors de 24 camps annuels, des personnes souffrant de déficiences mentales ou physiques, ainsi que des enfants et des personnes âgées défavorisées.

Who Is Hussain ? a été fondée au Royaume-Uni en 2012, un an seulement avant l’établissement de sa branche libanaise. Le directeur des jeunes de Who is Hussain ? au Liban affirme que leurs projets ciblent tous les niveaux de la société et incluent des activités diverses, comme la distribution de fleurs aux malades pauvres dans les hôpitaux, la distribution de nourriture durant les 10 jours de commémoration de la Achoura (événement religieux chiite) ou la collecte de sang durant la même période ; cette dernière a constitué un record au Moyen-Orient du nombre d’unités de sang collectées en un seul jour.

Dans un pays qui réunit 17 confessions religieuses différentes et qui a subi de nombreux conflits et crises, l’Ordre de Malte n’a eu de cesse de servir toute personne souffrante, sans aucune distinction, à travers tout le territoire libanais et jusque dans les villages les plus reculés, selon le président de l’Ordre au Liban, Marwan Sehnaoui.
Par ailleurs, l’Ordre a toujours aspiré à collaborer avec des organisations de croyances diverses, et ce dans l’optique d’élargir son champ d’action afin de pouvoir servir dans des zones sensibles. C’est grâce à ces collaborations que l’Ordre a pu devenir un instrument d’Amour, de Paix et de Coexistence au Liban, ajoute-t-il, soulignant qu’« à travers nos actions quotidiennes, nous nous efforçons de protéger ce que saint Jean-Paul II avait dit : Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message au monde ».
« Quand vous voyez les photos d’une infirmière portant le voile islamique et arborant la croix de l’Ordre, ajoute M. Sehnaoui, c’est exactement le message que nous voulons transmettre au monde. Protéger la dignité de toute personne souffrante est une valeur commune à toutes les religions. »
Gabriel, dans son fauteuil près de la télévision, face à une icône poussiéreuse de la Divine Miséricorde, se remémore sa vie, attentivement écouté par les deux volontaires qui décore son sapin de Noël.

L’association caritative musulmane a fourni les arbres et décorations pour le projet.
« J’ai travaillé depuis l’âge de 18 ans et jusqu’à 82 ans », raconte Gabriel, relatant les grandes lignes d’une carrière diversifiée où il a été successivement employé de banque, traducteur d’une encyclopédie entière de l’anglais au français (besogne qui lui a pris deux ans) et correcteur de nuit dans un quotidien libanais de langue française. « Aujourd’hui, je reste à la maison. Quand on arrête de travailler, on se rouille », explique-t-il. Alors, pour maintenir son esprit éveillé, Gabriel apprend l’italien à partir d’un manuel, ajoutant ainsi une nouvelle langue aux trois autres qu’il maîtrise : l’anglais, le français et l’arabe.
Malgré ses longues années de labeur, Gabriel ne bénéficie d’aucune retraite, et il mène aujourd’hui une vie démunie. Ses deux fils de 49 et 52 ans, célibataires et à besoins spéciaux, habitent avec lui.

« Je les incite continuellement à être optimistes et à persévérer », dit Gabriel, dont l’épouse, diabétique, est décédée il y a quatre ans de complications suite à une amputation de la jambe.
Les trois hommes comptent sur l’Ordre de Malte dans la distribution de colis alimentaires à domicile, qui contiennent des produits de base non périssables comme du riz, des pâtes, de la sauce tomate, des conserves de thon et du hommos. Dans le cadre du projet de décoration de Noël, les deux jeunes gens qui ont visité Gabriel lui ont porté un colis alimentaire accompagné de la traditionnelle bûche de Noël.

Malgré les épreuves qu’il a traversées, Gabriel garde un bon moral : « Vous connaissez le film de Noël It’s a Wonderful Life ? C’est comme moi ; grâce à Dieu, j’ai eu une vie merveilleuse. »
Évoquant les moments passés en compagnie de Gabriel, les deux volontaires font part de l’impact que cette expérience leur a laissé.
Nada El Sarbali, 22 ans, étudiante en biologie à l’Université arabe de Beyrouth, a souligné que dans le cadre de son volontariat avec Who is Hussain ?, elle n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer les nécessiteux dans leur propre logis. « Les conditions de vie de Gabriel sont bouleversantes », affirme-t-elle.
« Quand je vois comment ils vivent, je remercie Dieu pour tout ce que j’ai, et j’éprouve un bon sentiment (à les aider), je ne sais pas comment l’expliquer », ajoute la jeune musulmane.
La volontaire de l’Ordre de Malte, Nathalie Safar, pharmacienne de 31 ans, approuve : « C’est la première fois que je vois quelqu’un vivre dans ces conditions. Ils ont vraiment besoin d’aide. »

Safar, qui est grecque-orthodoxe, a souligné avoir été très touchée par l’indéfectible optimisme de Gabriel, malgré les difficultés qu’il traverse. Catholique maronite, ce dernier a avoué aux volontaires ne jamais cesser de prier.
« Nous leur faisons ressentir la magie de Noël, surtout l’esprit de famille, et que quelqu’un pense à eux », dit Safar, parlant de cette journée commune offerte par l’Ordre de Malte et Who is Hussain ?.

Avant d’embrasser ses visiteurs et de leur souhaiter un joyeux Noël, le vieil homme prend des nouvelles d’un des jeunes volontaires de l’Ordre, aujourd’hui à l’étranger, qui venait le voir auparavant. « Je sais que quand il viendra au Liban voir sa famille, il passera me voir aussi », dit Gabriel avec conviction.
Gabriel n’est qu’un parmi de nombreux participants au Programme de tutelle des personnes âgées, dans le cadre duquel les volontaires des Jeunes de l’Ordre visitent mensuellement les personnes du 3ème âge esseulées. Le centre médico-social de l’Ordre de Malte dans la banlieue de Aïn el-Remmaneh, où est située la maison de Gabriel, invite les seniors nécessiteux du voisinage à un repas hebdomadaire, de même qu’il leur fournit des services médicaux et sociaux, et leur organise régulièrement des sorties.
Dans l’ambiance festive qui régnait au centre de l’Ordre, où les jeunes s’étaient réunis avant d’entamer le projet de décoration des sapins de Noël, Aya Jouni, volontaire de Who is Hussain ?, professionnelle en relations publiques et créatrice d’un blog de mode, confie au Register : « Au Liban, nous avons diverses cultures et religions. Il est fondamental pour nous de travailler main dans la main pour s’entraider et se soutenir mutuellement. »

Jouni, dont la famille possède un arbre de Noël depuis sa plus tendre enfance, révèle avoir hâte de le décorer, ce même après-midi, avec ses nièces et neveux.
Commentant l’esprit dans lequel la jeunesse chrétienne et musulmane a collaboré pour semer la joie de Noël auprès des personnes âgées nécessiteuses, le président de l’Association libanaise des Chevaliers de Malte, Marwan Sehnaoui, dit : « Ils sont la preuve que dans ce monde matérialiste envahi par la technologie, l’ambition n’a pas encore réussi à détruire l’âme d’une jeunesse emplie d’amour et de fraternité. Oui, il y a de l’espoir pour des lendemains meilleurs. »